AVANT-PROPOS par Yannick SIMON:
Les Mémoires à deux voix de Paul et Edmée Arma nous offrent un voyage passionnant dans le court XXe siècle, celui de la grande histoire et celui de la vie musicale qui lui est associée. Celle du musicien né en 1904 englobe effectivement la période qui s’ouvre avec la Première Guerre mondiale et s’achève avec la chute du mur de Berlin, dont l’origine est étroitement associée à sa propre histoire, deux ans après son décès. Pianiste, compositeur de musique instrumentale et sur bande magnétique, Arma est aussi collecteur et arrangeur de chants populaires, chef de chœur, directeur musical engagé, producteur de chœurs et de chansons à vocation politique. Une telle pluralité d’activités n’est pas sans risque pour la postérité d’un compositeur dont le catalogue des œuvres comporte tout de même 303 numéros d’opus. Paul Arma n’est effectivement pas entré au répertoire des orchestres et formations musicales, de même que ses pièces sur bande magnétique sont restées enfouies dans les limbes d’un genre que les conditions de production ont rendu obsolète. Encore faut-il ajouter à cet ensemble d’activités la pratique des arts plastiques, la rédaction d’un dictionnaire de la musique  et, naturellement, celle de ses propres mémoires dont une partie fait l’objet de la présente édition.
Assurément, les Mémoires à deux voix auraient pu trouver place dans le Dictionnaire de l’autobiographie. Écritures de soi de langue française s’ils avaient été édités avant la parution de cette imposante somme . Le texte rédigé à quatre mains par le couple Arma répond bien à la définition d’une autobiographie, même si, dans le cas présent, elle est double : « récit rétrospectif qu’une personne réelle fait de sa vie dans un esprit de vérité . » Il prend tout autant place parmi les « écritures de soi », ensemble plus vaste incluant autobiographies, journaux personnels, mémoires et témoignages, c’est-à-dire tous les « textes qui ont pour objet une réalité extralinguistique vue à travers le prisme d’une subjectivité . » Il faut effectivement garder à l’esprit, en lisant les Mémoires à deux voix, qu’entre les faits et le temps de la rédaction, la mémoire, l’oubli et la maturation ont fait leur œuvre. Des mémoires ne sont pas un journal au jour le jour et relèvent de la reconstitution a posteriori. La subjectivité ne leur est par conséquent pas totalement étrangère et le rédacteur septuagénaire n’est plus le musicien engagé des années 1930. Le temps a passé et la mémoire a fait son œuvre. Inévitablement, on pourra noter ici ou là quelques erreurs et approximations, voire des invraisemblances. La recherche de son amie Helga à Francfort semble plus romancée que réelle tandis que la rencontre avec le fils d’Arnold Schönberg s’avère bien improbable. Il n’empêche, que, grâce à un travail minutieux réalisé à partir d’une riche documentation, notamment composée de coupures de presse et de programmes de concert, la vie et l’activité artistique du couple sont insérées dans leur contexte historique avec précision. Il est vrai que l’Histoire n’est jamais loin et qu’elle ne laisse guère de repos à un musicien juif hongrois communiste jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale – la suite de son parcours sera moins tumultueuse.
C’est peut-être à la prise de conscience de la singularité de ce destin qu’il faut attribuer l’ambition tout aussi singulière de raconter et de se raconter. Non pas seulement en s’en tenant aux années d’errance, de combat et de danger pour sa propre existence, mais de sa naissance à Budapest à la fin de sa vie en France. Il en résulte quatre livres aux dimensions à peu près équivalentes, chacun d’entre eux étant associé à une période : 1904-1945 ; 1945-1957 ; 1958-1971 ; 1972-1986. L’ensemble, du moins la version conservée à la Bibliothèque nationale de France, se présente sous la forme de quatre tapuscrits réunissant 1 440 feuillets ! On trouvera difficilement un projet francophone comparable dans le domaine musical à la même période, du moins parmi les textes édités. Ma vie heureuse, l’autobiographie de Darius Milhaud n’est pas de cette ampleur . De même celles de Georges Auric, Quand j’étais là, de Henri Sauguet, La musique, ma vie et Jean Wiener, Allegro appassionato . L’essai autobiographique d’Henry Barraud, Un compositeur aux commandes de la Radio, a quelques analogies avec le projet littéraire d’Arma . Outre leur dimension, les deux textes ont en commun un séjour prolongé à la Bibliothèque nationale de France avant leur publication posthume. Mais s’il peut faire état de son implication majeure dans la vie musicale française, en particulier au travers de son activité professionnelle au sein de la Radiodiffusion nationale, Barraud n’a pas connu le même parcours international et engagé qu’Arma, né quatre ans après lui. On relèvera du reste que le nom d’Arma n’apparaît pas dans les mémoires de Barraud et que ce dernier est mentionné une seule fois dans le premier livre des Mémoires à deux voix. Assurément, les mémoires d’Alexandre Tansman, sont ceux qui se rapprochent le plus des Mémoires à deux voix. Rédigés entre 1955 et 1958, soit une trentaine d’années avant le décès du compositeur polonais, ils ne sont publiés qu’en 2013 . Compositeur à l’itinéraire personnel similaire à celui d’Arma par bien des aspects, Tansman s’en distingue en rejoignant les États Unis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le premier livre des Mémoires à deux voix est le seul des quatre à faire l’objet de la présente publication. À l’évidence, c’est aussi le plus riche. Imre Weisshaus, qui adoptera le nom de Paul Arma après son installation en France, y raconte sa naissance et son enfance dans une famille juive de Budapest, ville qui devient, à la faveur de la Première Guerre mondiale, la capitale d’un pays désormais à part entière après le démantèlement de l’Empire austro-hongrois. Il y apprend le piano, entre à l’académie Franz Liszt où son professeur a pour nom Béla Bartók. L’enseignement de ce dernier ne se limite pas aux touches du clavier. Il inclut la composition mais aussi la fréquentation du chant populaire dont Bartók est un collecteur chevronné. Passées les années d’apprentissage et les premières expériences de la scène, Arma se rend à deux reprises aux États-Unis à une époque où, plus souvent que de jeunes inconnus, ce sont les célébrités établies qui s’y déplacent. C’est l’occasion d’y découvrir une vie musicale et une société bien différentes des standards européens. Plus encore que le pianiste, c’est le compositeur et l’homme qui s’y épanouissent.
Le retour sur le vieux continent fait entrer Arma dans le temps de l’engagement et de l’errance. Il quitte définitivement la Hongrie du bien peu démocrate régent Miklós Horthy, pour rejoindre la République de Weimar et adhérer, en décembre 1931, au Parti communiste allemand. L’investissement politique devient désormais indissociable de la pratique musicale. L’élève de Bartók se fait chef de chœurs prolétariens dont il enrichit le répertoire de pièces de circonstance : Marche des paysans, Chant de lutte du KPD, Votez communiste. L’arrivée d’Hitler au pouvoir oblige le juif communiste à rejoindre la France pour y poursuivre son engagement musical et politique. C’est le temps du Front populaire mais aussi celui de la Guerre d’Espagne et de la lutte contre le fascisme. Les chants de lutte se succèdent : Lénine vit toujours, Le Chant de Thaelmann, etc. Le réseau communiste international favorise leur diffusion en Europe dans plusieurs langues à l’image de Han Coolie ! dont les paroles françaises sont de Louis Aragon – la version glaçante qu’en donnera Catherine Sauvage dans les années 1960 reste un monument de la chanson française. Les protestataires de toutes sortes qui battent aujourd’hui le pavé ignorent probablement qu’en criant « No Pasaran » ils reprennent un slogan des républicains espagnols mais aussi le refrain d’un poème de Robert Desnos mis en musique par Paul Arma ! Le temps du Front populaire est aussi celui des Loisirs musicaux de la jeunesse dont Arma est le fondateur et Darius Milhaud le président d’honneur. Les mots ayant un sens, il s’agit moins de dispenser une culture musicale, ce que feront plus tard les Jeunesses musicales de France, que d’intégrer la pratique musicale dans le temps libre récemment acquis par les travailleuses et les travailleurs.
La déclaration de guerre fait ressurgir le passé, celui de la persécution et du danger, et marque l’entrée d’un nouvel acteur, ou plutôt d’une nouvelle actrice. Paul et Edmée convolent en justes noces et donnent bientôt naissance à leur premier enfant. Le contexte n’est pas des plus favorables. Si l’institutrice française et « aryenne » qui partage désormais la vie, les engagements politiques et pédagogiques de son mari n’a, a priori, pas de soucis à se faire (même si elle sera contrainte de renoncer à son métier en 1943), le juif hongrois communiste devient une cible tout autant des forces d’occupation que de l’État français. Le récit, désormais à deux voix, qu’en font Paul et Edmée pourrait nous laisser parfois incrédules. Arma traverse la période sans encombre ! La ruse, le culot, la chance et l’inconscience s’entremêlent pendant quatre ans sans que le couple ne s’éloigne jamais longtemps de la capitale. Mieux encore, Arma travaille et publie des recueils de mélodies et de chants harmonisés qui font l’objet de publicités et de comptes rendus dans la presse spécialisée. Le retour à la paix, avec lequel se conclut ce premier livre, marque le début de la seconde partie de la vie d’Arma, définitivement installé en France, dont le récit occupe les deuxième, troisième et quatrième livres.
Le premier nous donne à voir le portrait d’un musicien engagé si l’on veut bien ne pas réduire cette expression à sa seule dimension politique. Arma s’engage aussi en faveur de la musique pour et par le peuple, de la conservation et de la diffusion du patrimoine musical, de la constitution d’une mémoire musicale sans jamais abandonner entièrement son activité de compositeur de musique savante.
À partir du moment où il adhère au Parti communiste allemand en 1931, Arma se transforme en militant dans le sens où son engagement politique prédomine sur son activité musicale. Le compositeur de musique savante s’efface tandis que le musicien inscrit son action dans un projet politique global auquel il croit et apporte sa contribution. Les doutes dont le rédacteur fait état à la fin de sa vie ne peuvent dissimuler son investissement des premières années, moins dans les instances du Parti que dans des structures périphériques qui en assurent le rayonnement. La musique n’est pas mise au service du Parti : elle est pensée comme un moyen d’action destiné à encadrer et endoctriner les ouvriers. De cette entreprise, Arma est un soldat zélé : il fonde des chorales, encadre les membres, interprète un répertoire de circonstance qu’il enrichit lui-même, organise – ou participe à – des manifestations et des concerts dont la finalité n’est jamais purement artistique. L’illusion ne durera qu’un temps mais elle aura bel et bien existé.
Cette croyance momentanée entre en symbiose avec la conviction constante que la fréquentation de la musique, tant pour la goûter que pour la pratiquer, doit être partagée par le plus grand nombre : une musique pour et par le peuple. L’engagement reste politique mais il se double d’une dimension sociale, culturelle et esthétique. Les Loisirs musicaux de la jeunesse sont la meilleure illustration de cette autre facette de l’engagement. Arma est un militant de cette culture pour tous que le Front populaire incarne en France entre 1936 et 1939 . Le répertoire évolue et ne véhicule plus un discours annonçant le Grand Soir. Il se tourne vers le passé.
L’élève de Bartók reprend à sa manière le bâton de pèlerin que son maître, malade et exilé aux États-Unis, a dû abandonner en Hongrie. Arma fréquente assidument les bibliothèques parisiennes dans lesquelles il recopie des mélodies qu’il harmonise parfois. Chansons populaires issues des « provinces » françaises ou adaptées d’autres pays européens, chansons de métier, noëls, negro spirituals (après la Libération) constituent un immense répertoire pour chœurs mixtes, à voix égales ou à l’unisson. Mais plus encore que pour la restitution fidèle d’un patrimoine oublié, Arma milite en faveur de sa revitalisation. Sa démarche n’est nullement muséale. Elle prend la forme de recueils dont une part significative voit le jour sous l’Occupation : en témoignent les trois volumes de Chantons le travail, Chantons au vent, Chantons le passé, Chantons les vieilles chansons d’Europe, etc. Assurément, la collecte des chants populaires, leur adaptation et leur interprétation marquent une continuité avec certains aspects du Front populaire et entrent en symbiose avec d’autres du projet culturel de Vichy . De là à voir dans les activités d’Arma une participation à la Révolution nationale, il n’y a qu’un pas qu’il faut se garder de franchir – la proximité entre les deux projets ne vaut pas complicité .
Passeur d’un répertoire ancien, Arma est aussi un militant de la mémoire à venir. Dès la fin de l’Occupation, il rassemble des chants et poèmes ayant vu le jour dans l’ombre de la résistance. Il en résultera un patrimoine de plus d’un millier de pièces qu’Edmée Arma a légué à la ville de Thionville et dont une petite partie a fait l’objet d’une publication . C’est véritablement ici, plus encore que dans la revitalisation du répertoire ancien, qu’apparaît la dimension ethnographique du travail d’Arma.
Que devient le compositeur de musique savante dans ce foisonnement d’activités ? Le catalogue de ses œuvres montre qu’il est en réserve. Certes, les déplacements forcés n’ont pas favorisé la préservation des productions des périodes hongroise et allemande dont seules subsistent quelques œuvres de jeunesse. Il faut attendre l’installation en France pour voir émerger des pièces savantes du flot des chants de lutte et des éditions de chansons et de chœurs populaires. Les Chants du silence dont la conception et la réalisation s’étalent sur une longue période incluant l’Occupation, illustrent, d’une certaine façon, le retour à la composition.
La publication des trois autres livres des Mémoires à deux voix confirmerait cette évolution. On ne peut que la souhaiter. Arma est désormais pleinement impliqué dans la vie musicale française alors que le contexte historique est beaucoup moins anxiogène. Son témoignage est d’autant plus intéressant que la période de l’après-guerre, et moins encore celles des années soixante à quatre-vingts, n’est pas bien connue au-delà des approches analytiques et esthétiques des productions musicales .
 
En des temps déjà anciens où les recherches sur la vie musicale sous l’Occupation en étaient encore à leurs balbutiements, j’avais eu la chance de croiser les Mémoires à deux voix par un chemin dont je ne saurais plus me souvenir, contrairement aux longues heures consacrées à leur lecture dans la salle du département Musique de la Bibliothèque nationale de France. Dès le premier contact, j’ai pris conscience de l’importance de ce texte qu’il fallait bien un jour donner à lire au plus grand nombre. Bien des années plus tard, grâce à Déborah Livet qui en a assuré l’édition enrichie d’un indispensable appareil critique, c’est désormais chose faite.
Ouvrage disponible sur le site:
Les Editions Delatour France
 
https://www.editions-delatour.com/.../4924-memoires-a...
Début octobre 2024, sort le premier tome des mémoires écrites par Paul et Edmée. Ce sont les « Mémoires à deux voix ».
 
Déborah LIVET, jeune docteur en musicologie et histoire de la musique de l’Université Paris Sorbonne a eu l’initiative de s’intéresser à ces mémoires qui racontent le destin d’un compositeur de musique et sa famille à travers toutes les péripéties de la première moitié du XXème siècle tellement riche en bouleversements culturels, politiques, dramatiquement humains.
Déborah a su présenter et annoter parfaitement ces mémoires, acharnée à vérifier les moindres sources et appréciant les œuvres crées durant la vie de mes parents, ayant aimé profondément et les recherches musicales de mon père, et celles de ma mère. Sans l’investissement de Déborah ce tome des mémoires n’aurait pas vu le jour, et je lui suis infiniment reconnaissant du travail remarquable qu’elle a assumé durant tant de mois et avec tant de passion.
Aujourd’hui l’ouvrage vient de paraître.
 
Voici ce que Déborah LIVET précise à propos de son travail :
Je suis très heureuse de vous annoncer la publication du Livre 1 des Mémoires à deux voixd'Edmée et Paul Arma  
Un grand merci pour leur soutien dans ce projet passionnant de recherche, de révision et d'annotation à :
 
Arma Robin qui ajoute à son aide précieuse la magnifique couverture de ce livre avec "Midi" extrait de 24 heures (2014)
 
Yannick Simon relecteur attentif et préfacier de l'ouvrage
 
Le laboratoire de recherche HisTeMé de l'Université de Caen Normandie
 
La Fondation Francis et Mica Salabert
 
Manuel Cornejo président de Les Amis de Maurice Ravel, Cécile Pichon Bonin et László Stachó pour leurs connaissances aguerries
 
Les Editions Delatour France
Vous pouvez le commander ou l'acheter sur le site : https://www.editions-delatour.com/.../4924-memoires-a...
 
INTRODUCTION par Déborah LIVET:
J’ai découvert les Mémoires de Paul et Edmée Arma lors de recherches sur le compositeur pour la programmation d’un concert. J’ai été tout de suite subjuguée par la lecture de ce livre qui était à la fois un document historique et musicologique tout autant qu’un roman racontant la vie d’un homme ayant vécu mille vies en une. La difficulté reste de comprendre l’œuvre de Paul Arma, à la fois éclectique et multiforme, comprenant plus de trois-cents opus avec une diversité d’écriture musicale se mêlant aux réalités sociales et historiques auxquelles il est confronté.
 
Compositeur majeur et méconnu du XXe siècle, Paul Arma est né le 22 octobre 1904, à Budapest, dans une famille juive hongroise sous le nom d’Imre Weisshaus. Sa date de naissance est souvent confondue avec celle d’un autre musicien hongrois né un an après lui, Joseph Kosma (1905-1969), lui aussi émigré en France dans les années 1930.
La famille de Paul Arma n’est pas musicienne et c’est jeune homme qu’il découvre le piano, travaille avec ardeur et réussit le concours d’entrée de la prestigieuse Académie Franz Liszt où enseignent notamment Zoltán Kodály et l’éminent Béla Bartók. Ce dernier devient officiellement son professeur de piano, officieusement celui de composition, mais surtout un modèle pour le jeune Paul Arma comme il l’explique plus tard : « C’est Bartók qui a éveillé en moi non seulement l’intérêt envers la musique du peuple, mais aussi l’amour de ces expressions spontanées des hommes proches de la nature ; ce qu’en Occident l’on appelle le folklore, où se manifeste vraiment l’Homme, son être intime, ses aspirations, ses amours, ses joies, ses peines .»(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.)
En 1924, malgré de très bons résultats, Paul Arma est exclu de l’Académie et commence sa carrière en tant que pianiste. Il fait partie du trio de Budapest, puis de celui des frères Roth. Il se produit en Hongrie, en Bulgarie, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis où il sillonne à deux reprises le pays pour présenter au public américain des œuvres d’avant-garde grâce au compositeur Henry Cowell. Pendant cette deuxième tournée américaine, Paul Arma fait la rencontre de plusieurs artistes plasticiens et photographes dont Virginia Tooker avec qui il se marie. En 1930, la montée de l’extrémisme commence à se faire ressentir en Europe et Paul Arma décide de revenir sur le vieux continent. Pour sa femme Virginia, il choisit l’Allemagne et plus précisément Dessau où se trouve la célèbre école d’art, de design et d’architecture, le Bauhaus.
Très attiré par les œuvres d’avant-garde des artistes du Bauhaus, il y propose trois soirées entre le 1er et le 9 décembre 1931 sous l’intitulé : « Musique contemporaine, ses possibilités d’évolution » autour d’Henry Cowell, des musiciens européens contemporains et d’une réflexion sur les possibilités d’évolution de la musique contemporaine. C’est un véritable succès qu’il souhaite réitérer, mais très vite, les envies du musicien sont stoppées avec la fermeture du Bauhaus, considéré par le régime nazi comme un lieu où se forment et évoluent des artistes « dégénérés ». Paul Arma ne peut s’empêcher de s’engager dans la lutte et il adhère au KPD, le Parti communiste allemand. Comme il l’écrira dans un recueil de pensées au sujet de la solidarité : « S’associer à un combat, c’est vouloir apporter, donner quelque-chose, non par simple générosité ou grandeur d’âme, mais par conviction profonde ». C’est cette conviction profonde qui pousse le jeune compositeur à diriger des chorales populaires et à composer pour ces chœurs et pour le peuple de nombreux chants de lutte. Sur le modèle de Kurt Weill ou d’Hanns Eisler, c’est en Allemagne qu’il commence à composer des chants de masse pour poursuivre cette activité jusqu’en 1937, en France. C’est aussi pendant cette période qu’il se sépare de sa première femme Virginia Tooker. Alors menacé de mort par le régime nazi en Allemagne, il se réfugie en France en 1933. Dès son arrivée dans le pays, il adopte très rapidement le pseudonyme de Paul Arma. Il travaille alors à la composition de nombreux chants de luttes, associé cette fois à des auteurs de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et il dirige de nombreux chœurs.
Fin 1936 se concrétise la naissance d’une association, les Loisirs Musicaux de la Jeunesse (LMJ), qui lui permet de redécouvrir et faire connaître aux jeunes les chants populaires, traditionnels français et étrangers. Paul Arma n’est plus seulement pianiste, compositeur, conférencier, mais aussi musicologue, voire ethnomusicologue.
C’est pendant les débuts des LMJ qu’il rencontre la femme de sa vie, Edmée Louin, qui partage avec lui son travail et sa passion des musiques traditionnelles. Cette période se termine avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’enregistrement de negro spirituals de soldats noirs américains et un recueil de plus de 1600 textes et chants de Résistants et Résistantes : Le folklore de la Résistance, témoignage majeur de chants de lutte pendant cette période du plus grand conflit mondial.
Pendant cette période de l’Occupation, Paul Arma compose une œuvre marquante de son répertoire, Les Chants du silence, sur des textes de Vercors, Éluard, Vildrac, Cassou, Aveline, Romain Rolland, Ramuz, Marie Gevers, René Maran, Fanny Clar, Claudel, qui seront publiés en 1953 avec des couvertures dessinées par des peintres majeurs : Chagall, Picasso, Matisse, Braque, Léger, Dufy, Clavé, Estève, Pignon, Gischia et Beaudin. Ces onze Chants du silence sont composés en mémoire à tous ceux qui ne sont jamais revenus. Écrits pour la voix et le piano, Paul Arma retrouve avec cette composition la liberté perdue et son travail de compositeur de musique « sérieuse ». Commence alors pour lui une nouvelle ère artistique qui ouvre le deuxième livre des Mémoires à deux voix.
« Depuis 1945, et bien peut-être y a-t-il une ligne conductrice mais je dois dire qu’elle est assez ondulée .(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.) » Cette « ondulation » on la retrouve tout au long de son œuvre dans son acte de créateur. Son œuvre est composée de plus de trois-cents opus et comprend toutes les formations : musique de chambre, orchestre à cordes, instrument seul, cantate avec voix soliste, orchestre, ensemble instrumental, etc. Seul le domaine de l’opéra reste en dehors de ses aspirations et de son catalogue.
Entre 1954 et 1984, ses recherches sont axées vers la musique électromagnétique. Il travaille notamment avec Pierre Schaeffer et compose dans les années 1960 pour bande magnétique, comme il en témoigne dans la suite de ses Mémoires :
Ma curiosité est toujours vive pour ce qui avance, ce qui bouge, ce qui perturbe l’habitude et la convention. Tout naturellement, j’essaie d’entendre beaucoup de musique concrète, d’analyser ses formes et ses structurations. Mon espoir est sincère d’y reconnaître une valeur permanente.
Je suis déçu, très déçu, surtout par le côté amusical des œuvres entendues. Amusicales elles sont et étonnamment vides de musique... concrète ou non.
Ma décision est alors de continuer à refuser dans mes propres expérimentations, cette mode de bruits de toutes espèces et de rester sur mon chemin qui mène à la musique... musicale ! Je sens se confirmer – issue de ma propre esthétique, de ma propre conviction – la position que j’avais prise, en 1954 en composant Improvisation précédée et suivie de ses variations. C’est un chemin que je ne quitterai pas, avec des étapes successives où je m’attarderai et qui permettront la naissance de onze œuvres pour bande magnétique et d’une musique de film, entre 1958 et 1984.
 
Il faudra attendre 1958, après plusieurs demandes insistantes, pour que le compositeur soit naturalisé français. Prix Enesco de la SACEM, il est aussi Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur, membre perpétuel de l’Institut International des Arts et des Lettres lors d’une promotion qui réunit Jean Cocteau, Jean-Louis Barrault, François Mauriac, Marc Chagall et René Clair en 1962 et Officier de l’Ordre national du Mérite.
 
Pour en apprendre plus sur la vie du compositeur après 1945, nous espérons voir un jour la suite des Mémoires à deux voix publiées… Nous pourrions résumer sa recherche de créateur et de musicien par ses propres mots : « Quand je regarde ce qui reste de mon œuvre, je me demande si j’ai une esthétique personnelle. Vous savez, avec tout ce que j’ai vécu, toutes les luttes où j’ai pris part, il était bien question d’esthétique ! (…) Paul Valéry a dit un mot qui m’a profondément marqué. Il a dit : “La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur”. Je crois, après de longues années de travail, que je me suis maintenant prouvé à quel point c’est vrai. Donc la rigueur, pour arriver à la totale liberté. Je construis mes œuvres avec rigueur. Mais encore une fois ce n’est pas un principe esthétique. C’est ma méthode de travail .(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.) »
 
La rigueur est aussi un principe appliqué à la publication de ce Livre I des Mémoires à deux voix d’Edmée et Paul Arma. Mais quelques précisions s’imposent pour comprendre ce travail d’annotations.
Pour les citations dans le texte (en hongrois, anglais, allemand, bulgare, italien), les traductions sont de Paul Arma. Il est étonnant de voir avec qu’elle facilité il parle et écrit parfaitement plusieurs langues, comme en témoigne sa correspondance. Le texte original littéral est reproduit dans les notes entre crochets.
Le choix a été fait de ne pas établir de notes de bas de pages pour des personnes très connues comme Descartes, Bach, Kant, etc.
Pour réaliser ses Mémoires, Paul Arma utilise plusieurs types de documents d’archives qu’il a conservés tout au long de sa vie comme ses agendas (pour l’année 1930 notamment), des coupures de presse, des photos, des livres, des partitions, des notes, des documents annotés, etc. Il faut préciser que tous les articles de journaux sont découpés, titrés et datés à la main. Tous n’ont pas pu être vérifiés, il est encore possible de trouver des imprécisions de datations et d’intitulés.
Le travail d’édition est établi à partir d’un tapuscrit qui est resté pendant plusieurs années accessible sur le site internet personnel de Robin Arma et repris de manière illégale par d’autres sites. L’intégralité du tapuscrit est aujourd’hui consultable à la Bibliothèque nationale de France. L’autobiographie d’Edmée Arma avant sa rencontre avec Paul Arma a été rédigée. Elle est conservée sous la forme d’un tapuscrit dans les archives de la famille appartenant à Robin Arma, fils d’Edmée et de Paul Arma.
Pour faciliter l’écriture des mémoires, Edmée et Paul Arma ont enregistré vocalement leurs souvenirs Ils ont été retranscrits tout d’abord par écrit par Edmée Arma, puis à la machine à écrire par une secrétaire. Un deuxième travail de retranscription informatique a été réalisé par les enfants du couple, Miroka et Robin, entre 1987 et 1989 alors que le travail par ordinateur venait d’être accessible, d’où la présence d’espaces supplémentaires ou d’erreurs minimes subsistantes. Ce travail a été relu et corrigé par Edmée Arma.
Après avoir terminé cet ouvrage de plus de 800 pages commencé au début de l’année 1982, Edmée Arma envoie en 1989 le travail définitif à plusieurs éditeurs : Fayard, Bordas, Buchet-Chastel, Calmann-Levy, Robert Laffont, Grasset, Albin Michel, L’Âge d’Homme. Il faudra finalement attendre 2016 pour qu’une partie de ce premier livre (1904 à 1934) soit édité par le professeur musicologue Tobias Widmaier (Tobias Widmaier, Paul Arma, Avantgarde und Arbeiterlied, Autobiographie 1904-1934, Büdingen, Pfau-Verlag, 2016. ) sans annotation, en procédant à la copie conforme du tapuscrit existant. L’extrait de ces Mémoires à deux voix est complété par six articles en allemand correspondants à la période éditée.
Le choix a également été fait pour la présente édition de ne pas indiquer les numéros d’opus des œuvres de Paul Arma et de ne pas signaler systématiquement les modifications faites dans le texte pour corriger la ponctuation ou l’orthographe, les modifications étant minimes par rapport à l’importance du texte présenté.
 
Je tiens à remercier infiniment Robin Arma qui m’a aidée et soutenue pour ce projet de publication, qui a répondu à mes questions sur ses parents et qui m’a aussi facilité le travail de recherche grâce à son rangement et la numérisation important des archives de sa famille, pour son accueil lors de mes recherches et sa gentillesse.
Je remercie particulièrement Yannick Simon qui m’a conforté dans l’idée de réaliser la publication de ces Mémoires, pour ces précieux conseils avisés de relecteur et aussi pour avoir accepté d’en rédiger l’avant propos.
Merci à Manuel Cornejo et Cécile Pichon-Bonin pour leur aide dans leurs domaines de recherche spécifique, ainsi qu’à László Stachó pour sa contribution qui a substantiellement enrichi le contenu d’importantes références pour les années hongroises (1920-1924).
Je tiens aussi à remercier la maison d’édition Delatour pour sa confiance, le laboratoire HisTeMé de l’Université de Caen Normandie et la fondation Francis et Mica Salabert pour leur soutien.
 
Nous terminerons cette introduction par les mots ajoutés par sa femme à l’issue de l’écriture de ces Mémoires à deux voix :
 
Paul Arma était déjà très malade, quand à Paris, au début de l’année 1986, le Centre Georges Pompidou présenta l’exposition Mouvement dans le Mouvement qui réunit les œuvres des artistes contemporains ayant dessiné les couvertures de soixante quatorze partitions du compositeur. On put y voir aussi les œuvres plastiques du musicien : musicollages, musigraphies, rythmes en couleurs et les petites sculptures de métal et de bois que Paul Arma avait baptisées Musiques sculptées.
Des concerts accompagnèrent l’exposition (Autour de Paul Arma, Mouvement dans le mouvement, exposition au Petit foyer du 11 décembre 1985 au 6 janvier 1986 ; concerts dans la Petite salle le 16 décembre 1985 à 21h et dans la Grande salle le 18 décembre à 20h30, Centre Georges Pompidou, d’après l’affiche en ligne : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/media/Fc0ROOm. ).
Et Paul Arma, qui, depuis plusieurs années écrivait ses Mémoires, ajouta alors à ceux-ci, un épilogue en forme de prologue, où il analysa, comme il avait pris l’habitude de le faire, au long de ses souvenirs, ses œuvres et ses émotions.
 


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HONGRIE  
1904-1920: Enfance à Budapest. Vers la musique
1920-1924: Académie Franz Liszt. Les maîtres :  Bartók,  Molnar. Les amis. Exclusion de l’Académie. Sanatorium
1904 - 1920
1920 - 1924
 
EUROPE - ÉTATS-UNIS
1925-1926 : Budapest : amis peintres, premières œuvres
Berlin : concerts au « Sturm ». Henry Cowell
Munich : les tsiganes. Bulgarie, Italie : Tournées du « Trio de Budapest » . Budapest : travail du compositeur, du pianiste
1927: Première tournée de concerts aux États-Unis
1928: Paris. Insuccès en Angleterre
Allemagne : concert au Bauhaus de Dessau
Budapest : nouvelles œuvres
1928-1930: Deuxième tournée de concerts aux États-Unis
New York : maladie: Carmel ; amitiés : Weston, Cowell, Steffens
Concerts : Radio, Universités, Écoles, Communautés, Prison
New York   « Pan American Association of Composers »
Troisième tournée de concerts aux États-Unis
Virginia.
Départ vers l’Europe. Engagement politique
1925 - 1926
1925
1926
1927
1928
1928 - 1930
1929
1930
 
EUROPE
1930 : Paris. Budapest - Mariage - Composition
1931-1933: Allemagne. Le militant : Berlin, Leipzig. Travail avec Brecht, Eisler. Le musicien : Dessau, le Bauhaus. Le compositeur : Premiers chants de lutte. Divorce
1933:  Arrestation. Fuite vers la France
1930
1931 - 1933
1931
1932
1933
 
FRANCE
1933: Exil. Naissance de Paul Arma
1934: Le compositeur militant
1935: Amitiés dans la France accueillante
1933 - 1935
1933
1934
1935
 

FRANCE. 1936 : Le Front Populaire. La Guerre d’Espagne
1936
 
FRANCE. 1937 : Création des  «Loisirs Musicaux de la Jeunesse »
 
FRANCE. 1938 : Les Activités des L.M.J.. Les Chorales
 
FRANCE. 1939 :  Rencontre
PETITE  SUITE : 1939
1939
 
UNISSONS NOS VOIX : 1935 - 1945
1939 - LA GUERRE. PACTE GERMANO-SOVIÉTIQUE. DÉCLARATION DE GUERRE
PROMESSE DE VIE. 1939
 
194O - 1941  -  LA  VIE  ET  LA  MORT
PRÉPARATIFS D’EXODE. 1940
EXODE - NAISSANCE. 1940
LE CACHET JUIF. 1940
1941
RÉPIT. 1941
TRAVAIL. 1941
1942 - LES CLANDESTINS
12 FÉVRIER : ENTRÉE EN CLANDESTINITÉ
SOLIDARITÉS - AMITIÉS. 1942
TENDRESSE FURTIVE. 1942
L’ÉTOILE JAUNE. 1942
NOUVEAU RÉPIT. 1942
TRAVAIL. 1942
LES TROIS CLANDESTINS. 1942
 
1943 - 1944  -  REFUGES
LE MANOIR-DU-VENT-FRIVOLANT. 1943
RECHERCHES D’UN ASILE. 1943
LA MAISON - REFUGE. 1943
MIROKA VIT AVEC NOUS. 1943
L’ATELIER SOUS SCELLÉS. 1944
PROJETS DE DÉPART. 1944
ESPOIRS ! 1944
 
1944 -1945  -  LA LIBERTÉ - LA PAIX
NOUS  SOMMES  LIBRES. 1944
NEGRO-SPIRITUALS. 1945
9 MAI  1945  -  PAIX - NAISSANCE !
LIVRE 1: 1904 - 1945
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