Questionnaire de Sarno pour un curriculum.
Naissance : le 9 mai, un jour où il y a plein de drapeaux sur les autobus.
Votre lieu de vie ? : n’ayant plus de raison d’habiter Paris (espace d’habitation réduit, bousculades dans les transports, stress et énervement, manque de verdure…), je suis venu habiter à la campagne pour avoir plus de place pour travailler et respirer un air plus sain. Pouvoir entendre comme il me plaît les oiseaux, regarder jusqu’au rêve les fleurs s’épanouir, retirer lentement les mauvaises herbes des rosiers.
Votre fleur préférée ? : la giroflée.
Vos passe-temps préférés ? : enseignement ; plantes (botanique) ; travaux de rénovation de maisons (quoique j’ai bien freiné désormais les maisons à reconstruire !)
Vos meilleures vacances ? : en Italie, 15 jours passés à dessiner la Toscane sans m’arrêter.
Vos pires vacances ? : la plage ; ou lorsque je ne peux ni peindre ni entreprendre des travaux de restauration.
Vous n’aimez pas ? : le pouvoir, car c’est le choix de la corruption.
Ce que vous haïssez ? : ceux qui dépouillent la terre de sa beauté et l’homme de son innocence.
Ce qui vous révolte le plus ? : que des êtres humains trouvent exploitables et délicieux le mal et la misère autour d’eux, et qu’ils tissent un voile qui étouffe trop de personnes. C’est qu’ils doivent être excessivement malheureux pour se plaire dans cette déchéance ignoble.
Ce que vous n’aimez pas mais ce que vous tolérez quand même ? : manger.
Ce qui vous angoisse ? : ceux qui savent tout, ceux qui se prennent au sérieux.
Ce qui vous plaît le plus ? : la fragilité de la beauté.
Ce que vous préférez faire avec les autres ? : plaisanter.
Ce qui vous stimule ? : l’élan qui, pour et par la peinture, me permet de franchir les jours et les nuits d’une manière qui me fait cheminer avec certaines possibilités de bonheur.
Ce qui vous freine ? : je m’égare souvent, partant du principe que rien ne m’est hostile sauf moi-même, de sorte que je ne supporte pas l’inconnu tout en m’y précipitant sans cesse car il est seul à me faire comprendre le vrai et la beauté.
Ce qui vous déroute le plus ? : me chercher et me fuir tout à tour ; manquer absolument de confiance en moi, et l’instant suivant tout trouver si facile.
Ce qui vous fait craquer ? : un regard, un sourire, des larmes.
Ce qui est le plus difficile ? : être simple.
Ce qui est le plus facile ? : être prétentieux, stupide.
Ce que vous n’aimez pas de vous ? : tout, j’ai du mal à me supporter.
Ce que les autres aiment en vous ? : il faudrait leur demander.
Ce que vous aimez trouver chez les autres ? : la curiosité et l’imagination sensible.
Comment vous sentez-vous face aux autres ? : désemparé, sans manières, timide, je voudrais être ailleurs.
Comment trouvez-vous les autres ? : ils sont étonnants ; derrière leur carapace faite souvent d’égoïsme, de bêtise et de prétention, se trouvent leur détresse, leur générosité immense, leur intelligence, leur désir de pureté et de bonheur ; c’est parfois pour eux et pour les autres à rencontrer, bien plus loin que la distance pour se rendre jusqu’aux plus lointaines étoiles.
Avez-vous fait déjà quelque chose d’illégal ? : quand j’étais plus jeune, assez souvent ; j’encourage naturellement beaucoup de formes de marginalité (mais certes pas toutes) ; j’essaye de me maintenir à un seuil d’indulgence important qui m’empêche de m’encombrer de trop de culpabilisations inutiles.
Ce que vous trouvez de plus étonnant ? : le jour qui se lève tous les matins.
Ce que vous trouvez de plus insupportable ? : les camps de concentration, puis que ce cauchemar ignoble ne soit pas devenu le témoignage à rejeter afin de mieux avancer sérieusement vers l’avenir.
Ce qu’il faut partager ? : le sourire, la douceur. J’ai toujours été étonné que l’on considère les poètes et les artistes plus pour des prophètes que pour des personnes capables de sourire et de communiquer leur sourire.
Ce qui est le plus important ? : apprendre chaque jour des choses pour ne pas se perdre ; car ne rien apprendre, ne rien voir, c’est pénétrer les ténèbres.
Les inventions formidables ? : le parapluie, la bétonnière.
Inventions surfaites ? : le téléphone portable et les médias.
Invention pratique, mais dont on devrait se passer ? : l’ordinateur.
Inventions détestables ? : violence, haine.
Elément ? : la terre en ce moment (printemps).
Occupation favorite ? : couper des nuages et en recoller les brins pour en faire de nouveaux rêves. Cependant l’idéalisme est aussi un piège qui ne donne jamais raison à la réalité.
Couleur ? : aujourd’hui j’ai longuement admiré le ciel qui, au mois d’avril, était déjà un peu d’un bleu profond d’été.
Ce dont vous vous méfiez ? : j’ai appris à apprécier les saisons, le vent qui fait trembler quelques feuilles ou la bourrasque tournoyante, le cumulus frêle et rapide dans l’azur, la pluie, beaucoup plus que mes impulsions ou mes pensées, ou mes interrogations pas toujours raisonnables.
Vos sources d’information ? : je n’ai pas la télévision, et elle ne me manque pas ; ce n’est pas que je trouve la télévision pleine de défauts (invention superbe), mais c’est qu’en regardant les informations, une émission ou un film le soir, je ne peux pas m’endormir. Ce que j’ai vu et entendu me travaille, vibrant encore en moi longtemps après avoir éteint le poste ; je me pose des milliers de questions non abordées par les images épouvantables ou belles et sereines, peu importe ; cela devient un souci de trouver le sommeil après un tel dérangement intérieur. Sans télévision, mes soucis sont plus mesquins et somme tout insignifiants.
Ce qui devrait changer ? : rien du passé, car il a fait des artistes sensationnels. Mais l’approche de l’avenir devrait être plus généreux avec les êtres humains, plus respectueux de leurs pensées ; ayant toujours cru aux valeurs humaines non marchandes, avec cette haine du profit et de son intégrisme, bien qu’entouré de plus en plus par un monde mercantile et mesquin qui n’ose rien d’intéressant, je reste persuadé que l’avenir devrait trouver une voie moins scandaleuse pour le rêve et la simplicité des contacts humains. Ne devraient compter que l’allégresse, les élans, les rapprochements, les espérances ; le reste ne devant en aucun cas être partagé, ni le désespoir, ni la souffrance.
Votre manière de vivre ? : je suis resté isolé pour n’avoir pas la tentation de la dispersion. L’isolement n’étant pas une obsession de solitude ou d’écart par rapport à la vie des autres ou à une vie sociale ordinaire, mais un état de concentration qui m’a toujours été agréable et favorable. J’ai toujours préféré rester chez moi et travailler ou lire que sortir. Cela a pu blesser.
La musique actuellement écoutée ? : les concertos pour piano de Mozart, les sonates pour violon et piano de Beethoven. Beaucoup de musiques sont ennuyeuses.
Que représente pour vous la peinture ? : réponses antagonistes ;
-En faire comme autant de scories retirées de moi pour pouvoir garder intacte et sans ombre, la joie qui m’habite.
-En faire comme témoignage même de ma joie de vivre.
C’est en tout cas ne pas déployer le désordre et les ténèbres de leur confinement, mais reprendre la lumière et détruire avec elle tout ce qui terrifie, tout ce qui amenuise.
Vos préoccupations en peinture ? : j’entreprends au fur et à mesure des travaux, sans me préoccuper d’un lieu pour les exposer, sans savoir ce qu’ils pourront devenir ; cela m’importe peu. Je reste à l’affût des bribes de bonheur et de lumière, ne désirant n’en rater aucune. Leur absence serait comme s’il manquait quelques marches dans le chemin de ma vie, ne désirant aucunement être dépossédé d’une partie de l’essentiel.
Vos contraintes ? : aucune, sauf les miennes qui surgissent au fur et à mesure. J’ai appris, parce que je l’avais désiré, à être libre grâce à ma peinture ; développant des coloris et des formes autant que je leur donne de l’importance, sans contrainte de plaire, ou d’avoir à dépendre d’un succès commercial afin de pouvoir me nourrir. Nous vivons une époque formidable où toutes les formes et toutes les couleurs sont à notre disposition afin de permettre à notre sensibilité de s’épanouir pleinement.
Vos influences ?: tout m’influence.
Ce que vous n’avez jamais fait ? : ou plutôt ce que je n’ai pratiquement jamais fait ; peindre revenant pour moi à être infiniment heureux, je n’ai jamais pu me résoudre à vendre ma peinture, ni aimé l’exposer ! Non ambiguïté, mais fuir le domaine commercial qui corrompt tout le quotidien. Vendre reviendrait en quelque sorte à gâcher cette joie primaire de peindre dont je suis envahi. C’est aussi une démarche très stupide, parce qu’une image n’est que le témoignage figé d’un moment qui a été particulièrement intense et intéressant dans son vécu ; et cette image n’est plus capable de réveiller cette sensation éprouvée une fois. Est-ce que ne pas exposer n’est pas au fond le plus grand alibi pour cacher le plus grand égoïsme ? (je n’attends aucune confirmation).
Ce que vous aimez concevoir ? : essayer de rapprocher l’univers pictural des émotions abstraites musicales ; ce qui est possible avec les matériaux actuels. La peinture évoluant frontalement devant soi, d’un premier accord à un accord final en passant par toute une évolution délicieuse ou intéressante, tout comme la musique nous traverse pour nous transporter dans des minutes plus sereines, infiniment plus vastes et plus lumineuses que celles qui sont vécues dans notre quotidien.
Votre occupation la plus stupide ? : créer des liens qui ne mènent strictement à rien.
Quand êtes-vous le plus stupide ?: quand les autres ne prennent pas leur route comme j’aimerais qu’ils la prennent.
Vos regrets ? : ne pas savoir chanter.