Début octobre 2024, sort le premier tome des mémoires écrites par Paul et Edmée. Ce sont les « Mémoires à deux voix ».
Déborah LIVET, jeune docteur en musicologie et histoire de la musique de l’Université Paris Sorbonne a eu l’initiative de s’intéresser à ces mémoires qui racontent le destin d’un compositeur de musique et sa famille à travers toutes les péripéties de la première moitié du XXème siècle tellement riche en bouleversements culturels, politiques, dramatiquement humains.
Déborah a su présenter et annoter parfaitement ces mémoires, acharnée à vérifier les moindres sources et appréciant les œuvres crées durant la vie de mes parents, ayant aimé profondément et les recherches musicales de mon père, et celles de ma mère. Sans l’investissement de Déborah ce tome des mémoires n’aurait pas vu le jour, et je lui suis infiniment reconnaissant du travail remarquable qu’elle a assumé durant tant de mois et avec tant de passion.
Aujourd’hui l’ouvrage vient de paraître.
Voici ce que Déborah LIVET précise à propos de son travail :
Je suis très heureuse de vous annoncer la publication du Livre 1 des Mémoires à deux voixd'Edmée et Paul Arma
Un grand merci pour leur soutien dans ce projet passionnant de recherche, de révision et d'annotation à :
Arma Robin qui ajoute à son aide précieuse la magnifique couverture de ce livre avec "Midi" extrait de 24 heures (2014)
Yannick Simon relecteur attentif et préfacier de l'ouvrage
Le laboratoire de recherche HisTeMé de l'Université de Caen Normandie
La Fondation Francis et Mica Salabert
Manuel Cornejo président de Les Amis de Maurice Ravel, Cécile Pichon Bonin et László Stachó pour leurs connaissances aguerries
Les Editions Delatour France
INTRODUCTION par Déborah LIVET:
J’ai découvert les Mémoires de Paul et Edmée Arma lors de recherches sur le compositeur pour la programmation d’un concert. J’ai été tout de suite subjuguée par la lecture de ce livre qui était à la fois un document historique et musicologique tout autant qu’un roman racontant la vie d’un homme ayant vécu mille vies en une. La difficulté reste de comprendre l’œuvre de Paul Arma, à la fois éclectique et multiforme, comprenant plus de trois-cents opus avec une diversité d’écriture musicale se mêlant aux réalités sociales et historiques auxquelles il est confronté.
Compositeur majeur et méconnu du XXe siècle, Paul Arma est né le 22 octobre 1904, à Budapest, dans une famille juive hongroise sous le nom d’Imre Weisshaus. Sa date de naissance est souvent confondue avec celle d’un autre musicien hongrois né un an après lui, Joseph Kosma (1905-1969), lui aussi émigré en France dans les années 1930.
La famille de Paul Arma n’est pas musicienne et c’est jeune homme qu’il découvre le piano, travaille avec ardeur et réussit le concours d’entrée de la prestigieuse Académie Franz Liszt où enseignent notamment Zoltán Kodály et l’éminent Béla Bartók. Ce dernier devient officiellement son professeur de piano, officieusement celui de composition, mais surtout un modèle pour le jeune Paul Arma comme il l’explique plus tard : « C’est Bartók qui a éveillé en moi non seulement l’intérêt envers la musique du peuple, mais aussi l’amour de ces expressions spontanées des hommes proches de la nature ; ce qu’en Occident l’on appelle le folklore, où se manifeste vraiment l’Homme, son être intime, ses aspirations, ses amours, ses joies, ses peines .»(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.)
En 1924, malgré de très bons résultats, Paul Arma est exclu de l’Académie et commence sa carrière en tant que pianiste. Il fait partie du trio de Budapest, puis de celui des frères Roth. Il se produit en Hongrie, en Bulgarie, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis où il sillonne à deux reprises le pays pour présenter au public américain des œuvres d’avant-garde grâce au compositeur Henry Cowell. Pendant cette deuxième tournée américaine, Paul Arma fait la rencontre de plusieurs artistes plasticiens et photographes dont Virginia Tooker avec qui il se marie. En 1930, la montée de l’extrémisme commence à se faire ressentir en Europe et Paul Arma décide de revenir sur le vieux continent. Pour sa femme Virginia, il choisit l’Allemagne et plus précisément Dessau où se trouve la célèbre école d’art, de design et d’architecture, le Bauhaus.
Très attiré par les œuvres d’avant-garde des artistes du Bauhaus, il y propose trois soirées entre le 1er et le 9 décembre 1931 sous l’intitulé : « Musique contemporaine, ses possibilités d’évolution » autour d’Henry Cowell, des musiciens européens contemporains et d’une réflexion sur les possibilités d’évolution de la musique contemporaine. C’est un véritable succès qu’il souhaite réitérer, mais très vite, les envies du musicien sont stoppées avec la fermeture du Bauhaus, considéré par le régime nazi comme un lieu où se forment et évoluent des artistes « dégénérés ». Paul Arma ne peut s’empêcher de s’engager dans la lutte et il adhère au KPD, le Parti communiste allemand. Comme il l’écrira dans un recueil de pensées au sujet de la solidarité : « S’associer à un combat, c’est vouloir apporter, donner quelque-chose, non par simple générosité ou grandeur d’âme, mais par conviction profonde ». C’est cette conviction profonde qui pousse le jeune compositeur à diriger des chorales populaires et à composer pour ces chœurs et pour le peuple de nombreux chants de lutte. Sur le modèle de Kurt Weill ou d’Hanns Eisler, c’est en Allemagne qu’il commence à composer des chants de masse pour poursuivre cette activité jusqu’en 1937, en France. C’est aussi pendant cette période qu’il se sépare de sa première femme Virginia Tooker. Alors menacé de mort par le régime nazi en Allemagne, il se réfugie en France en 1933. Dès son arrivée dans le pays, il adopte très rapidement le pseudonyme de Paul Arma. Il travaille alors à la composition de nombreux chants de luttes, associé cette fois à des auteurs de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et il dirige de nombreux chœurs.
Fin 1936 se concrétise la naissance d’une association, les Loisirs Musicaux de la Jeunesse (LMJ), qui lui permet de redécouvrir et faire connaître aux jeunes les chants populaires, traditionnels français et étrangers. Paul Arma n’est plus seulement pianiste, compositeur, conférencier, mais aussi musicologue, voire ethnomusicologue.
C’est pendant les débuts des LMJ qu’il rencontre la femme de sa vie, Edmée Louin, qui partage avec lui son travail et sa passion des musiques traditionnelles. Cette période se termine avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’enregistrement de negro spirituals de soldats noirs américains et un recueil de plus de 1600 textes et chants de Résistants et Résistantes : Le folklore de la Résistance, témoignage majeur de chants de lutte pendant cette période du plus grand conflit mondial.
Pendant cette période de l’Occupation, Paul Arma compose une œuvre marquante de son répertoire, Les Chants du silence, sur des textes de Vercors, Éluard, Vildrac, Cassou, Aveline, Romain Rolland, Ramuz, Marie Gevers, René Maran, Fanny Clar, Claudel, qui seront publiés en 1953 avec des couvertures dessinées par des peintres majeurs : Chagall, Picasso, Matisse, Braque, Léger, Dufy, Clavé, Estève, Pignon, Gischia et Beaudin. Ces onze Chants du silence sont composés en mémoire à tous ceux qui ne sont jamais revenus. Écrits pour la voix et le piano, Paul Arma retrouve avec cette composition la liberté perdue et son travail de compositeur de musique « sérieuse ». Commence alors pour lui une nouvelle ère artistique qui ouvre le deuxième livre des Mémoires à deux voix.
« Depuis 1945, et bien peut-être y a-t-il une ligne conductrice mais je dois dire qu’elle est assez ondulée .(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.) » Cette « ondulation » on la retrouve tout au long de son œuvre dans son acte de créateur. Son œuvre est composée de plus de trois-cents opus et comprend toutes les formations : musique de chambre, orchestre à cordes, instrument seul, cantate avec voix soliste, orchestre, ensemble instrumental, etc. Seul le domaine de l’opéra reste en dehors de ses aspirations et de son catalogue.
Entre 1954 et 1984, ses recherches sont axées vers la musique électromagnétique. Il travaille notamment avec Pierre Schaeffer et compose dans les années 1960 pour bande magnétique, comme il en témoigne dans la suite de ses Mémoires :
Ma curiosité est toujours vive pour ce qui avance, ce qui bouge, ce qui perturbe l’habitude et la convention. Tout naturellement, j’essaie d’entendre beaucoup de musique concrète, d’analyser ses formes et ses structurations. Mon espoir est sincère d’y reconnaître une valeur permanente.
Je suis déçu, très déçu, surtout par le côté amusical des œuvres entendues. Amusicales elles sont et étonnamment vides de musique... concrète ou non.
Ma décision est alors de continuer à refuser dans mes propres expérimentations, cette mode de bruits de toutes espèces et de rester sur mon chemin qui mène à la musique... musicale ! Je sens se confirmer – issue de ma propre esthétique, de ma propre conviction – la position que j’avais prise, en 1954 en composant Improvisation précédée et suivie de ses variations. C’est un chemin que je ne quitterai pas, avec des étapes successives où je m’attarderai et qui permettront la naissance de onze œuvres pour bande magnétique et d’une musique de film, entre 1958 et 1984.
Il faudra attendre 1958, après plusieurs demandes insistantes, pour que le compositeur soit naturalisé français. Prix Enesco de la SACEM, il est aussi Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur, membre perpétuel de l’Institut International des Arts et des Lettres lors d’une promotion qui réunit Jean Cocteau, Jean-Louis Barrault, François Mauriac, Marc Chagall et René Clair en 1962 et Officier de l’Ordre national du Mérite.
Pour en apprendre plus sur la vie du compositeur après 1945, nous espérons voir un jour la suite des Mémoires à deux voix publiées… Nous pourrions résumer sa recherche de créateur et de musicien par ses propres mots : « Quand je regarde ce qui reste de mon œuvre, je me demande si j’ai une esthétique personnelle. Vous savez, avec tout ce que j’ai vécu, toutes les luttes où j’ai pris part, il était bien question d’esthétique ! (…) Paul Valéry a dit un mot qui m’a profondément marqué. Il a dit : “La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur”. Je crois, après de longues années de travail, que je me suis maintenant prouvé à quel point c’est vrai. Donc la rigueur, pour arriver à la totale liberté. Je construis mes œuvres avec rigueur. Mais encore une fois ce n’est pas un principe esthétique. C’est ma méthode de travail .(Paul Arma, propos recueillis par Raymond Lyon pour l’exposition Mozgás a mozgásban [Mouvement dans le mouvement], Budapest, Vigadó Gallery, 1984, archives privées Robin Arma.) »
La rigueur est aussi un principe appliqué à la publication de ce Livre I des Mémoires à deux voix d’Edmée et Paul Arma. Mais quelques précisions s’imposent pour comprendre ce travail d’annotations.
Pour les citations dans le texte (en hongrois, anglais, allemand, bulgare, italien), les traductions sont de Paul Arma. Il est étonnant de voir avec qu’elle facilité il parle et écrit parfaitement plusieurs langues, comme en témoigne sa correspondance. Le texte original littéral est reproduit dans les notes entre crochets.
Le choix a été fait de ne pas établir de notes de bas de pages pour des personnes très connues comme Descartes, Bach, Kant, etc.
Pour réaliser ses Mémoires, Paul Arma utilise plusieurs types de documents d’archives qu’il a conservés tout au long de sa vie comme ses agendas (pour l’année 1930 notamment), des coupures de presse, des photos, des livres, des partitions, des notes, des documents annotés, etc. Il faut préciser que tous les articles de journaux sont découpés, titrés et datés à la main. Tous n’ont pas pu être vérifiés, il est encore possible de trouver des imprécisions de datations et d’intitulés.
Le travail d’édition est établi à partir d’un tapuscrit qui est resté pendant plusieurs années accessible sur le site internet personnel de Robin Arma et repris de manière illégale par d’autres sites. L’intégralité du tapuscrit est aujourd’hui consultable à la Bibliothèque nationale de France. L’autobiographie d’Edmée Arma avant sa rencontre avec Paul Arma a été rédigée. Elle est conservée sous la forme d’un tapuscrit dans les archives de la famille appartenant à Robin Arma, fils d’Edmée et de Paul Arma.
Pour faciliter l’écriture des mémoires, Edmée et Paul Arma ont enregistré vocalement leurs souvenirs Ils ont été retranscrits tout d’abord par écrit par Edmée Arma, puis à la machine à écrire par une secrétaire. Un deuxième travail de retranscription informatique a été réalisé par les enfants du couple, Miroka et Robin, entre 1987 et 1989 alors que le travail par ordinateur venait d’être accessible, d’où la présence d’espaces supplémentaires ou d’erreurs minimes subsistantes. Ce travail a été relu et corrigé par Edmée Arma.
Après avoir terminé cet ouvrage de plus de 800 pages commencé au début de l’année 1982, Edmée Arma envoie en 1989 le travail définitif à plusieurs éditeurs : Fayard, Bordas, Buchet-Chastel, Calmann-Levy, Robert Laffont, Grasset, Albin Michel, L’Âge d’Homme. Il faudra finalement attendre 2016 pour qu’une partie de ce premier livre (1904 à 1934) soit édité par le professeur musicologue Tobias Widmaier (Tobias Widmaier, Paul Arma, Avantgarde und Arbeiterlied, Autobiographie 1904-1934, Büdingen, Pfau-Verlag, 2016. ) sans annotation, en procédant à la copie conforme du tapuscrit existant. L’extrait de ces Mémoires à deux voix est complété par six articles en allemand correspondants à la période éditée.
Le choix a également été fait pour la présente édition de ne pas indiquer les numéros d’opus des œuvres de Paul Arma et de ne pas signaler systématiquement les modifications faites dans le texte pour corriger la ponctuation ou l’orthographe, les modifications étant minimes par rapport à l’importance du texte présenté.
Je tiens à remercier infiniment Robin Arma qui m’a aidée et soutenue pour ce projet de publication, qui a répondu à mes questions sur ses parents et qui m’a aussi facilité le travail de recherche grâce à son rangement et la numérisation important des archives de sa famille, pour son accueil lors de mes recherches et sa gentillesse.
Je remercie particulièrement Yannick Simon qui m’a conforté dans l’idée de réaliser la publication de ces Mémoires, pour ces précieux conseils avisés de relecteur et aussi pour avoir accepté d’en rédiger l’avant propos.
Merci à Manuel Cornejo et Cécile Pichon-Bonin pour leur aide dans leurs domaines de recherche spécifique, ainsi qu’à László Stachó pour sa contribution qui a substantiellement enrichi le contenu d’importantes références pour les années hongroises (1920-1924).
Je tiens aussi à remercier la maison d’édition Delatour pour sa confiance, le laboratoire HisTeMé de l’Université de Caen Normandie et la fondation Francis et Mica Salabert pour leur soutien.
Nous terminerons cette introduction par les mots ajoutés par sa femme à l’issue de l’écriture de ces Mémoires à deux voix :
Paul Arma était déjà très malade, quand à Paris, au début de l’année 1986, le Centre Georges Pompidou présenta l’exposition Mouvement dans le Mouvement qui réunit les œuvres des artistes contemporains ayant dessiné les couvertures de soixante quatorze partitions du compositeur. On put y voir aussi les œuvres plastiques du musicien : musicollages, musigraphies, rythmes en couleurs et les petites sculptures de métal et de bois que Paul Arma avait baptisées Musiques sculptées.
Des concerts accompagnèrent l’exposition (Autour de Paul Arma, Mouvement dans le mouvement, exposition au Petit foyer du 11 décembre 1985 au 6 janvier 1986 ; concerts dans la Petite salle le 16 décembre 1985 à 21h et dans la Grande salle le 18 décembre à 20h30, Centre Georges Pompidou, d’après l’affiche en ligne : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/media/Fc0ROOm. ).
Et Paul Arma, qui, depuis plusieurs années écrivait ses Mémoires, ajouta alors à ceux-ci, un épilogue en forme de prologue, où il analysa, comme il avait pris l’habitude de le faire, au long de ses souvenirs, ses œuvres et ses émotions.
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